..."J'arrivais près d'une petite chapelle, au bord de la route. La porte était entrebâillée et j'entrai. A mon grand étonnement, il n'y avait ni statue de la Vierge, ni crucifix sur l'autel, mais simplement un arrangement floral magnifique. Devant l'autel, sur le sol, je vis, tourné vers moi, un yogi dans la position du lotus, profondément recueilli. En le regardant de plus près, je vis qu'il avait mon visage ; j'en fus stupéfait et effrayé et je me réveillai en pensant : " Ah ! par exemple ! voilà celui qui me médite. Il a un rêve, et ce rêve c'est moi. " Je savais que quand il se réveillerait je n'existerais plus. "
"Nos images sont en règle générale des images de quelque chose"..."l'image de Dieu est l'expression d'une expérience sous-jacente de quelquechose que je ne peux pas atteindre avec des moyens intellectuels, c'est à dire par la connaissance scientifique, à moins de me livrer à une transgression irresponsable"... Lorsque je dis que je n'ai pas besoin de croire en Dieu parce que "je sais", je veux dire par là que je sais ce qu'il en est des images de Dieu en général et en particulier. Je sais qu'il y va d'une expérience universelle et, dans la mesure où je ne suis pas moi-même une exception, je sais que j'ai moi aussi une telle expérience que je peux appeler Dieu...Cette étrange force qui se manifeste pour ou contre mes mouvements conscients m'est bien connue. C'est pourquoi je dis : "Jele connais."Mais pourquoi devriez vous appeler ce quelque chose "Dieu"? Je répondrais : "pourquoi pas ? On l'a toujours appelé "Dieu".
Je me souviens d'une légende juive racontée par C.G.Jung dans le livre "l'analyse des rêves". La voici, dans le texte de Jung.
"Une légende juive, à la fois belle et scandaleuse, raconte le mal démoniaque de la passion. Il y avait un vieil homme très sage et très pieux que Dieu aimait, parce qu'il était tellement bon et qu'il avait beaucoup médité sur les questions de la vie. Il avait compris que tout le mal de l'humanité avait sa source dans le démon de la passion. Alors il se prosterna devant le Seigneur et lui demanda de supprimer de la terre l'esprit malin de la passion. La piété du vieillard était tellement grande que le Seigneur accéda à sa demande. Et comme toujours, lorsqu'il avait accompli une grande action, le vieillard très pieux était empli de joie et selon son habitude se rendit ce soir-là dans sa belle roseraie pour humer le parfum de ses roses. La roseraie avait son apparence habituelle, mais quelque chose n'allait pas. Le parfum n'était plus là, une substance manquait, comme lorsqu'on mange du pain sans sel. Peut-être était-il fatigué. Alors il prit sa coupe en or et la remplit avec un vieux vin merveilleux qu'il possédait dans sa cave et qui n'avait jamais eu le moindre défaut jusqu'à présent. Mais cette fois-ci le vin était fade. Cet homme sage possédait dans son harem une jeune épouse d'une grande beauté et, lors de la dernière visite, il s'aperçut que son baiser qui habituellement était comparable au parfum et au vin était cette fois sans saveur ! Alors il monta derechef sur son toit et dit au Seigneur combien il était triste, et qu'il craignait d'avoir fait une erreur en demandant de supprimer le démon de la passion. Il adressa alors au Seigneur la prière suivante : "Ne pourrais-Tu renvoyer sur terre l'esprit malin de la passion ?" En reconnaissance de sa grande piété, Dieu accéda à sa demande. Alors le vieillard goûta à tout à nouveau et, merveille, plus rien n'était fade, les roses avaient retrouvé leur parfum merveilleux et le baiser de sa femme fut plus suave que jamais."
Voici une citation de Jung qui donne à réfléchir au sujet d'une alchimie du quotidien. On la trouve p. 66 de son livre Commentaire sur le Mystère de la Fleur d'Or.
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" J'ai reçu il y a peu de temps une lettre d'une patiente décrivant la transformation nécessaire en termes simples mais pertinents. Voici ce qu'elle dit : " Du mal il m'est sorti beaucoup de bien. En demeurant calme, en ne réprimant rien, en étant attentive, et, ce qui va avec le reste, en acceptant la réalité — les choses comme elles sont et non comme je voudrais qu'elles soient —, il m'est venu des connaissances singulières, et aussi des pouvoirs singuliers, tels que je n'aurais jamais pu me l'imaginer auparavant. Je pensais toujours que si l'on acceptait les choses, les choses nous dominaient d'une manière ou d'une autre ; mais en réalité il n'en est rien, c'est seulement en les accueillant qu'on peut fixer sa position par rapport à elles. Désormais je jouerai donc le jeu de la vie en acceptant ce que la journée et la vie m'apportent à tout instant, bien et mal, soleil et ombre qui alternent d'ailleurs constamment, et en même temps j'accepte aussi mon être propre avec ce qu'il a de positif et de négatif, et tout devient plus vivant. Que j'étais donc sotte! et comme je voulais obliger toutes choses à aller à mon idée!
" Le grand problème de notre temps tient à ce que nous ne comprenons pas ce qui sepasse dans le monde. Nous sommes confrontés à l'obscurité de notre âme et à l'inconscient. Des impulsions pressantes en proviennent, obscures, impossibles à reconnaître. Il évide et met en pièces les formes de notre culture et ses réalisations historiques majeures. Nous les avons perdues, ou bien elles se trouvent dans le futur. Nos valeurs chancellent, il n'y a plus rien de certain, même la sanctissima causalitas est descendue du trône des axiomes et s'est transformée en simple champ de probabilités.
Quel est donc l'hôte terrifiant et funeste qui frappe à notre porte ? La peur le précède, montrant que les ultimes valeurs se mobilisent à son encontre, ces valeurs auxquelles nous avons cru jusqu'ici et qui maintenant donc s'écroulent, cependant que notre seule certitude est de savoir que le monde nouveau sera différent de ce à quoi nous sommes habitués."
Extrait d'une lettre du 2 septembre 1960, dans les dernier mois de la vie de Jung.
Jung pense que les concepts métaphysiques sont, non seulement inutiles mais qu'ils empêchent le développement psychique. Voici ce qu'il écrit dans son livre Aïon .
" Les concepts métaphysiques ont un jour perdu leur capacité de rappeler et d'évoquer l'expérience originelle, et non seulement ils sont alors devenus inutiles, mais ils ne se révèlent plus désormais que comme de véritables obstacles sur la voie d'un développement ultérieur. On s'agrippe à des possessions qui ont autrefois représenté de la richesse et, plus elles deviennent inopérantes, incompréhensibles et sans vie, plus on s'accroche à elles. (On ne s'accroche naturellement qu'à des idées stériles ; celles qui sont vivantes ont suffisamment de contenu et de richesse pour qu'on ait pas besoin de s'y accrocher.) Ainsi, avec le temps, ce qui était rempli de sens se change en absurdité. Tel est malheureusement le destin des idées métaphysiques. " Aïon (p.49).
Je suis assez d'accord avec ce triste destin. Ariane Callot.
C.G.Jung part de sa propre expérimentation pour proposer une manière d'explorer l'inconscient en vue d'un accroissement du développement psychique et spirituel. Je vous propose ici une citation extraite de l'article de Sonu Shamdasani publié dans les Cahier Jungiens de psychanalyse de décembre 2017. Sonu Shamdasani a supervisé la traduction et fait l'introduction du Livre Rouge. Ariaga.
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" Les instructions de Jung à ses patients quand à la conduite de l'imagination active étaient très précises. Il racontaitce que lui même avait expérimenté. En 1926, Christiana Morgan vint en analyse chez Jung. [...] Dans une séance de 1926 elle note les conseils de Jung sur la production de visions :
"Bien, vous voyez qu'elles sont trop floues pour que je puisse en dire grand chose. Ce n'est que le début. Dans un premier temps, n'utilisez la rétine de votre œil que dans le but d'objectiver. Ensuite, au lieu d'essayer de continuer à forcer l'image, contentez-vous d'y jeter un coup d’œil. Puis, lorsque vous voyez ces images, vous tentez de les saisir et de voir où elles vous emmènent – comment elles changent. Et vous essayez vous-même d'entrer dans l'image – d'en devenir un des acteurs. Quand j'ai commencé à faire cela, j'ai vu des paysages. Ensuite j'ai appris comment me placer dans ces paysages, puis les personnages m'ont parlé et j'ai répondu."
Radmila Moacanin, dans un ouvrage intitulé C.G.Jung et la sagesse tibétaine où elle commente une citation de Jung extraite du Commentaire sur le Mystèrede la Fleur d'Or écrit ce texte sur les vertus de la patience pour laisser se développer le processus d'individuation :
" Jung observa que ceux de ses patients qui arrivaient à s'affranchir par eux -mêmes de l'esclavage où les maintenaient leurs problèmes et qui atteignaient des niveaux supérieurs de développement et d'intégration psychique, ne faisaient en réalité que permettre aux choses de se produire d'elles-mêmes. Ils laissaient leur inconscient leur parler en silence, et ils écoutaient ses messages avec patience, en y accordant toute leur attention, avec le plus grand sérieux. En d'autres termes, ils établissaient une relation consciente avec leur inconscient.
" L'art de laisser les choses arriver d'elles-mêmes, l'action par l'inaction, laisser les choses se faire d'elles-mêmes, comme le disait Maître Eckart, devint pour moi la clef de la porte d'accès à la voie.Nous devons être capables de laisser les choses se produire d'elles-mêmes dans la psyché. Chez nous il s'agit d'un art que la plupart des gens ignorent totalement. La conscience ne cesse d'interférer, d'aider, de corriger et de nier, ne laissant jamais se développer en paix le processus psychique ."(Jung)
Quand on autorise le processus psychique à se développer en paix, l'inconscient féconde la conscience, et la conscience illumine l'inconscient. La fusion mutuelle et l'union des deux contraires accroissent la conscience et élargissent la personnalité. Selon Jung cela s'accomplit dans les meilleures conditions quand le processus n'est pas dirigé de l'extérieur et que le thérapeute n'interfère pas sur le travail de la nature."
Il me semble que ce que pense Jung, sur le plan psychique, au sujet de la patience peut aussi s'appliquer à certains domaines de la vie courante ...
Je me sens en harmonie avec les doutes que ressentait Jung à la fin de sa vie ; doutes qu'il livre dans une lettre à sa collaboratrice Aniéla Jaffé. (Correspondance, t.III, p.233)
J'ai envie, humeur du jour, de partager avec vous cette citation. Ariaga.
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" Voyez vous, je me regarde moi-même, dans le silence de Bollingen, avec bientôt huit décennies d'expérience de la vie, et je suis obligé d'avouer que je n'ai pas trouvé de réponse claire à la question que je suis. Je suis et je reste dans le doute sur moi-même, et cela d'autant plus que j'ai davantage essayé d'exprimer des choses précises. Tout se passe comme si, ce faisant, on s'éloignait encore plus de la connaissance de soi même ! "
Ariaga (Ariane Callot) propose une histoire racontée par Jung et qu'il faut, évidemment, remettre dans le contexte de l'époque.
"Dans ma jeunesse, j'ai rencontré une dernière ramification de cette conception moyenâgeuse du monde, grâce à l'expérience suivante. Nous avions, à cette époque, une cuisinière de la forêt Noire souabe, à qui incombait la tâche d'exécuter les victimes de la basse-cour destinées à la cuisine. Il s'agissait de poules naines, dont les coqs se distinguent par leur humeur particulièrement querelleuse et par leur malice. L'un d'eux dépassait tous les autres par sa cruauté et ma mère chargea la cuisinière d'exécuter le malfaiteur pour le repas du dimanche. J'arrivai juste comme elle rapportait le coq décapité et disait à ma mère : " Il est mort en chrétien, bien qu'il ait été si mauvais. Il a encore crié : " Pardonne-moi, pardonne-moi ! " avant que je lui coupe la tête. Aussi, maintenant il est allé au ciel ! " Ma mère répondit, indignée : " Ne dites pas de sottises ! Seuls les êtres humains vont au ciel ", à quoi la cuisinière étonnée répliqua : " Les poules ont aussi un corps, tout comme les gens ont le leur. " - Mais seuls les êtres humains ont une âme immortelle et une religion " dit ma mère, tout aussi stupéfaite. " Non, ce n'est pas vrai, répondit la cuisinière, les animaux ont aussi une âmeet tous ont leur propreciel, les chiens, les chats et les chevaux, et cela parce que , lorsque le sauveur des hommes est descendu sur la terre, le sauveur de la volaille est aussi venu parmi les poules, et c'est pourquoi elles aussi doivent se repentir de leurs péchés avant de mourir, si elles veulent aller au ciel. "
La croyance de notre cuisinière est un vestige folklorique de cet esprit qui découvrait le drame de la rédemption à tous les niveaux de l'être et le retrouvait, par conséquent, dans les transformations les plus mystérieuses et les plus incompréhensibles de la matière." (p.525)