Je vous propose aujourd'hui un texte d'Etienne PERROT sur l'alchimie :
"L'un des caractères de l'alchimie est d'avoir offert à l'âme occidentale corsetée dans une forme doctrinale étroite qui séparait comme par un glaive le bien et le mal, un champ, une vigne beaucoup plus vaste où elle a pu évoluer en toute liberté sans faire passer ses productions spontanées au crible d'une orthodoxie sourcilleuse. L'alchimie tient dans le monde de la chrétienté la même place que la peinture d'un Jérôme Bosh dans son univers artistique ; les thèmes hermétiques abondent d'ailleurs chez l'auteur du "jardin des délices" et de "la nef des fous". Il est significatif que la matière obscure qui doit être changée en pierre de lumière ait reçu entre autres noms celui de Satan. L'inconscient qui est la "matière prochaine"de l'oeuvre, pour reprendre une expression alchimique, n'est-il pas encore aujourd'hui, aux yeux de beaucoup, un repaire de démons ?Ainsi l'alchimie et la psychologie complexe, l'une et l'autre servantes de l'âme profonde, partagent la vision païenne et orientale qui substitue au manichéisme pratique du christianisme opposant en une lutte éternelle Dieu et le Diable, le jeu de deux principes complémentaires, le yin et le yang chinois, l'obscurité et la clarté dont la réunion forme le Tao, la Voie juste d'où partent et où se résolvent les contraires composant l'univers de la multiplicité. J'ajoute qu'à l'intérieur même du christianisme cette conception était retrouvée en pratique par les grands mystiques, dont le but était de faire que "Dieu soit tout en tous", et qu'elle est une des causes permanentes de la suspicion dans laquelle les autorité tenaient l'expérience intérieure. Le stade ultime de l'homme suivant la psychologie empirique de Jung, le Soi, répond aux descriptions des hermétistes aussi bien qu'à celles de tous les grands enseignements traitant de la voie où l'homme se réalise dans sa totalité divine. L'être qui l'atteint, fluide comme l'eau par sa docilité à l'inconscient, est en même temps ferme comme la pierre, car, ne résistant à rien, rien ne peut l'entamer. C'est ce que voulait exprimer le dernier grand rêve confié par Jung. Le vieux sage y voyait une grosse pierre ronde présentée sur un socle comme un objet sacré avec cette inscription : EN SIGNE DE TA TOTALITE ET DE TON UNITE. Cette pierre ne contenait-elle pas l'alpha et l'oméga de toute sagesse ? N'était-elle pas la Pierre des anciens philosophes."
Etienne PERROT, La voie de la transformation, p. 164-165 Ed. La Fontaine dePierre.