La maladie peut être un refuge qui permet d'échapper à l'ennuyeuse quotidienneté de l'existence ou d'excuser des manques, de permettre des ruptures. Elle est aussi une sorte d'issue à l'exaltation où s'épuisent les forces créatrices, les dépenses d'énergie excessives. Il y a des êtres pour lesquels la recherche du sens, et du dire de ce sens, est une mise à l'épreuve de la chair. Je pense à Nietzsche qui disait bénéficier de moments de grande clarté aux instants où il souffrait le plus. Chez ceux là, c'est au cours d'une douloureuse "passion"que, comme dans le creuset des alchimistes, se produit la "cuisson lente" de l'Oeuvre. C.G.Jung appartenait à l'espèce de ceux qui "somatisent" et que la maladie "transmute".
Pendant la petite enfance, une longue "absence de sa mère : eczéma généralisé, culbute du haut d'un escalier, heurt violent contre le bord d'un poêle, angoisses nocturnes. A douze ans, il fait, ce qu'il appelle lui même dans Ma vie, une névrose. Renversé par un camarade, sa tête heurte le trottoir. Il anticipe la violence du choc et une pensée fulgure : maintenant tu ne seras plus obligé d'aller à l'école! Cette pensée est tombée dans l'inconscient mais une somatisation s'est produite : chaque fois qu'il doit travailler ou aller en classe il tombe en syncope. Suit une période heureuse pendant laquelle il est libre de faire tout ce qui lui plait. C'est en particulier à cette époque que sa communion avec la Nature et l'originalité de sa réflexion se développent de manière très puissante. Il faut une réflexion de son père, entendue par hasard, sur la lourde charge que va représenter pour un pasteur sans fortune un enfant handicapé, pour le tirer de cet état. Les crises disparaissent et il se rend compte que c'était lui qui avait "monté cette honteuse histoire".
Ce comportement de fuite devant la vie ordinaire, cette manière de chercher refuge dans la maladie, se manifeste au moment de sa grande maladie de 1944 où, après une période de visions dans un état entre la vie et la mort, il met trois semaines avant de se "décider à revivre". Et pourtant, l'instinct de vie, la nécessité de transmettre une expérience, l'impression qu'il est important d'accepter son destin et la Vie telle qu'elle est l'emportent. C'est après cette cuisson lente sur l'athanor d'une transformation qui le mène aux portes de la mort que son travail et sa pensée se révélèrent les plus fertiles. Il a parlé ensuite de la possibilité d'une "zone intermédiaire" entre le physique et le psychologique, la maladie étant semblable à la pierre des alchimistes. Elle serait alors une étape dans le processus d'individuation c'est à dire de l'Oeuvre que nous devons entreprendre sur nous- mêmes pour devenir un être complet.
J'ai pris Jung comme exemple parce qu'il est représentatif et que d'autres que je connais auraient été trop personnels, mais je pense qu'il existe des lecteurs de ce blog qui, après avoir subi une maladie longue et douloureuse qui les a fait frôler la mort, ont été transformés par cette épreuve. Le plaqué or de leur vie s'est transformé en or. Je pense, entre autres conséquences, que les états valétudinaires, probablement parce qu'ils diminuent les défenses du conscient, relativisent l'importance de problèmes souvent liés à l'image que l'on souhaite présenter à la"Société"et permettent de se consacrer à l'essentiel, la Vie et la spiritualité.
Ariaga