Ce texte a été rédigé, il y a quelques années, pour remercier mon amie Hécate (Eckate Lefil) qui avait écrit un beau texte sur Arthur Rimbaud. Elle m'a conduit a faire une lecture épurée des émois de l'adolescence auxquels ce poète était associé dans mon souvenir. Je suis aujourd'hui plus influencée par les alchimistes Philosophes de la Nature du Moyen Âge et j'ai opéré une "distillation" qui n'a laissé au fond de la cornue que les délires de l'"alchimie du verbe".
Dans la tentative rimbaldienne de transmutation du verbe en l'or de la poésie, on retrouve toute la démarche vers l’œuvre de ces anciens alchimistes désireux de trouver en eux la Pierre qui leur permettrait de transformer la matière vile, le fumier sur lequel bourdonnent les mouches de Rimbaud, en l'Or véritable. Cette soif inextinguible, "voir l'or et ne pouvoir le boire", que ressent le poète est semblable à celle des alchimistes qui se consumaient en prières dans l'oratoire et se desséchaient devant l'athanor brûlant.
"Le dérèglement de tous les sens", "le désordre de l'esprit", la santé menacée de Rimbaud étaient semblables aux hallucinations et à la mort lente des alchimistes drogués, empoisonnés, par les vapeurs de Mercure et autres produits contenus dans leur cornue où ils opéraient le "supplice de la matière". Pour eux, comme pour Rimbaud, et ce fut aussi le cas pour C.G.Jung, le matériau de L’œuvre était leur corps et leur esprit. Leur langue obscure et fourmillant d'allusions symboliques cherchait désespérément à exprimer l'inexprimable, à "fixer des vertiges" comme celle du poète.
On observe cette démarche alchimique dans l'invention de la couleur des voyelles où se retrouvent les trois phases essentielles de l'Oeuvre.
A noir, la nigredo, l’œuvre au noir, où la matière primordiale, celle que l'on peut trouver dans les "ruelles puantes" ou les dédales de la folie. Cette matière est décomposée, dissoute, recomposée en de multiples morts et résurrections.
E blanc, c'est l'albédo, le passage au blanc, le moment où l'ensemble des couleurs, sous l'influence de l'argent et de la lune et les contenant toutes , produit la couleur unique que les alchimistes appellent la "queue du paon". C'est l'aube précédant le lever du soleil.
I rouge, la rubedo, l'oeuvre au rouge des alchimistes symbolisant le soleil , l'illumination, la fusion du masculin et du féminin, ce qu'ils appellent les noces alchymiques.
Vous me direz que deviennent le O bleu et le U vert de Rimbaud. Là je suis obligée d'imaginer et je verrais bien le U comme le récipient de l’œuvre et le O comme la totalité, le son suprême de la première à la dernière parole. Je voudrais bien, moi aussi, avoir mes folies, mes hallucinations et devenir un "opéra fabuleux" . On peut toujours rêver ... et pourquoi pas, comme à la fin de L'alchimie du verbe parvenir à un dernier stade de la transmutation où, enfin apaisé, on sait saluer la beauté dans son ultime nudité.
Ariaga