Là où mer et rivière, se marient au lit vaseux,
accroché à la barrière, en un lieu presque désert
un bouquet ...
Bouquet preuve d'amour,
bouquet regret de mort,
bouquet de toujours,
bouquet de plus jamais,
qui sait ?
Ariaga
À terre, à côté d'un bateau, j'ai vu, oublié, un pinceau. Il était encore imprégné d'une collante matière qui commençait tout juste à sécher et de vives couleurs palissaient en éclaboussures sur le sol buvard.
Il allait rester là oublié, piétiné, jeté. Pour lui pas de voyage sur l'océan, pas de voiles gonflées, pas de bruits de vagues sur la coque.
Mais il avait beaucoup servi et le Service peut être le plus beau des voyages pour celui qui comprend le sens de ce mot.
Ariaga
Je vous souhaite à tous, en cette période de fêtes et de renouveau de la lumière, d'avancer joyeusement sur la voie la meilleure pour vous et pour les autres. D'oublier les épreuves et de voir chaque jour comme une oeuvre de beauté. Que votre coeur soit rempli de paix, de force et surtout d'Amour.
Je vous embrasse amis lecteurs, connus ou inconnus.
Ariaga
En souvenir du grand voyage imaginaire du navire l'Évasion, que nous avons accompli cet été avec quelques amis du Laboratoire, je vous propose de mettre les voiles cap sur l'île de Ré.
Loin des troupeaux de touristes et des boutiques de souvenirs nous avons suivi les voies anciennes qui mènent vers une fin de terre où l'on peut encore espérer, qui sait ? voir passer les grandes baleines et où la pierre se lit comme un livre d'histoire.
Nous sommes passé par un lieu où les habitants grimpent aux amers clochers noircis pour nettoyer le chemin d'un inatteignable ciel ...
Nous avons vu tant de choses, amis du rêve,
même des croix sur les eaux, des croix en marche vers l'horizon ...
Et, vous ne le croirez pas, nous avons plongé dans l'or liquide d'un Mandala où se promenait un fantôme de Jung ...
Ariaga
Ce qui est au delà des noms nous atteint parfois, comme une onde venue du fond de l'univers. Une impression de co-naissance avec tout ce qui est.
Un instant unique aux larmes.
Puis cela disparaît et c'est une insupportable perte ...
Ariaga
Aujourd'hui, une citation de David Ciussi extraite du numéro 78 de la revue 3°millénaire. Un texte que j'aurais bien aimé écrire ... je n'ai pu que l'illustrer.
"Tout surgit de l'intérieur et coexiste à l'extérieur dans un perpétuel mouvement ! De l'absolu naît le relatif, de l'unité reconnue en soi jaillissent l'harmonie et la paix avec le monde, manifestées par une joie sans objet. Cela s'appelle la Vie.
Le parfum vient de l'intérieur de la fleur, la fleur vient de l'intérieur de la branche, la branche vient de l'intérieur du tronc, le tronc vient de l'intérieur des racines, les racines viennent de l'intérieur de la graine. La sève est à l'intérieur de la graine, des racines, du tronc, des branches, des fleurs, du parfum. N'est-elle pas cette vie qui propulse l'extériorité en coexistant infiniment avec elle-même ! "
David Ciussi
Photo Yann
Cette note , un peu longue, mais que vous pouvez lire à loisir car c'est la dernière de la série, fait suite aux cinq notes précédentes.
Pour en revenir à la “mort de Dieu” sujet iconoclaste qui fit la célébrité philosophique de Nietzsche, elle inspira Jung en tant que mort d’une certaine image de la divinité. La position jungienne est originale, car elle met sérieusement en cause l’athéisme nietzschéen.
Selon Jung, Nietzsche n’a pas pu échapper à l’image de Dieu en lui. L’archétype divin a alors émergé sous la forme d'un Zarathoustra qui n'est pas une simple figure poétique. D’où le “langage hiératique” du Zarathoustra car ce langage, exprimant ce qui est plus une confession involontaire qu’une oeuvre pensée, manifeste le “style” de cette représentation archétypique.
Nietzsche, selon cette vision jungienne, appartient à l’espèce des ”iconoclastes modernes” qui ont cru possible de renverser les tables de la loi, de détruire les anciennes valeurs. Ceux-là se sont retrouvés sans support, suspendus dans le vide. Les missionnaires, eux, détruisirent les idoles mais ils avaient pour les remplacer une représentation de ce qu’ils considéraient comme le véritable Dieu.
Intellectuellement, Nietzsche pensait pouvoir se passer de l’image de Dieu mais elle était vivante dans les profondeurs de son inconscient. Or, celui dont le “Dieu meurt” est “guetté par l’inflation dont il va devenir victime”. Jung explique cette théorie de la force de l’archétype divin appliquée au “cas Nietzsche” au cours d’un texte très explicite de Psychologie et religion (p.169,170) :
“Nietzsche n’était pas athée, mais son Dieu était mort. La conséquence de cette mort de Dieu fut que Nietzsche lui-même se dissocia en deux et qu’il se sentit obligé de personnifier l’autre partie de lui-même tantôt en “Zarathoustra” tantôt, à d’autres époques, en “Dionysos”. Durant sa fatale maladie il signa ses lettres “Zagreus”, le Dionysos démembré des Thraces. La tragédie de Ainsi parlait Zarathoustra est que, son Dieu étant mort, Nietzsche devint un Dieu lui-même et cela advint précisément parce qu’il n’était pas athée.”
Dieu dans l’homme se révèle ainsi comme un élément psychique extrêmement puissant. Il est quasiment impossible d’ériger contre cette force un rempart solide. On peut d’ailleurs ajouter que, si une force s’avère suffisante chez un être humain pour résister à la puissance de l’archétype divin, il y a alors toutes les chances pour qu’elle devienne son Dieu. Dans cette optique l’homme n’est pas véritablement libre d’avoir ou non un Dieu. Le seul choix qui lui est laissé est la nature de ce Dieu.
Nietzsche a mené un mené un long combat contre le Dieu de ses pères et surtout l’image chrétienne de ce Dieu, mais une partie de lui-même était à la recherche du divin. Selon Jung son athéïsme était d’ordre intellectuel alors que son tempérament était religieux. Ceci est confirmé par ces lignes des Racines de la conscience :
“Qu’on relise avec attention dans un esprit de critique psychologique le Zarathoustra. Nietzsche a décrit, avec une logique rare et la passion d’un homme véritablement religieux, la psychologie de ce “surhomme“ dont le dieu est mort, de cet homme qui se brise … “
Jung ne s’est pas brisé mais il a partagé avec Nietzsche la nature paradoxale d’une double personnalité. L’une qui désire vivre et penser libre de tout présupposés “théologiques“. Celle-là se manifeste par le “Dieu est mort” de Nietzsche et l’affirmation souvent répétée de Jung de ne travailler qu’à partir de données empiriques, de s’en tenir à la psychologie pratique. L’autre personnalité est représentée par le côté “religieux” et le besoin refoulé d’un Dieu de Nietzsche. Dans le cas de Jung la concordance vient du fait que, si on observe attentivement son cheminement, on peut dire que la quête d’un dieu “acceptable”, correspondant à sa profonde et intime expérience de la divinité fut, pour cette seconde personnalité qu’il appelle le numéro 2, le moteur de toute une existence.
Pour conclure ces quelques notes sur la relation entre Jung et Nietzsche
Sur le plan philosophique, ce dont Jung remercie le plus Nietzsche, est de lui avoir montré l’exemple, en particulier dans le Zarathoustra, de la possibilité d’utiliser philosophiquement la source intuitive. Il a ainsi dépassé les limites du simple intellect ; à un point tel qu’il ne s’agit plus de philosophie, mais d’un acte artistique créateur. Il donna, selon lui, la preuve qu’il est possible de traiter des problèmes philosophiques en dehors de l’intellectualisme. Jung tenta de suivre ce cheminement, même s’il s’éloigna, lui aussi, parfois, de l’intuition pour la remplacer par l’érudition. Cela se produisit surtout dans la première partie de sa vie, et découlait de son besoin de pragmatisme et de son désir de prouver, de manière rationnelle, ce qu’il avait ressenti intuitivement.
Nietzsche fut, pour Jung, un catalyseur et un appui. Il tint la place d’un modèle, très ambivalent, des erreurs à éviter, une sorte d’image de l’”Ombre”, mais aussi, paradoxalement, d’une voie à suivre, la voie des anciens alchimistes. Des forces, issues des profondeurs de son inconscient de Nietzsche l’avaient mis en résonance avec la phase de l’”Oeuvre au noir”. Son Moi conscient, trop fragile, calciné, morcellé, n’avait pas survécu. Mais il avait eu le courage de tenter l'épreuve, en dépit de sa faiblesse physique et psychique. C’est pourquoi Jung le relie à une filiation allant des anciens alchimistes à Paracelse, qui fut le modèle du Faust de Goethe. Nietzsche, pensait-il, était “un homme faustien comme il en existe peu”. On peut lire dans Ma vie (p.220) :
“Je pense à la parole de Goethe : “Pousse hardiment la porte devant laquelle tous cherchent à s’esquiver ! “ Or, le deuxième Faust est plus qu’un simple essai littéraire. Il est un chaînon de l’Aurea catena, de cette chaîne d’or qui, depuis les débuts de l’alchimie philosophique et de la gnose jusqu’au Zarathoustra de Nietzsche, représentent un voyage de découvertes - le plus souvent impopulaire, ambigu et dangereux - vers l’autre pôle du monde.”
Nietzsche n’a pas cherché à esquiver le dangereux voyage et il fait bien partie de l’ “aurea catena” des alchimistes, cette chaîne d'or qui relie le ciel à la terre.
Je pense que le maillon se prolonge jusqu’à Jung. Il a toujours “ressenti” que l’homme n’est pas seulement fait de ses aspirations les plus “célestes”, de ses idées les plus élevées, mais que, même s’il a perdu le vieil apendice caudal des sauriens, il conserve une solide “chaîne accrochée à sa psyché et le liant à la terre”. De plus, son incessant questionnement, ses décénnies de patientes recherches, la mise en jeu de son “âme”, au moment de son affrontement avec l’inconscient, et, surtout, le fait que l’alchimie fut son ultime appui dans la quête du sens, tout ceci contribue à l’intégrer, avec Nietzsche, en tant que maillon de cette chaîne, qui continue son parcours souterrain, avec parfois de fulgurantes émergences.
Ariaga
Suite des quatre précédentes notes.
Sur le plan conceptuel il existe, en dépit des concordances, une différence de nature entre le Soi Nietzschéen et le Soi Jungien. La ressemblance est manifeste quand il s’agit de présenter le Soi comme le grand organisateur, celui qui oeuvre dans les profondeurs de la psyché. Jung ne pouvait qu’adhérer à la vision de Nietzsche, dans Ecce homo, d’une conscience comparée à une “surface” sous laquelle oeuvre une force organisatrice. Mais, une fois de plus, il va faire à Nietzsche le reproche de ne pas “actualiser” une pensée demeurant dans les hauteurs alors qu’elle est censée glorifier la Vie et la Nature. Le Soi du Zarathoustra dans le discours intitulé "des contempteurs du corps", ce “maître du Moi”, ce “sage inconnu" était assimilé à la vie du corps, à la joie d’une harmonie avec la pure nature. Or, selon Jung, (Correspondance, T5,p.41) la tentative de Nietzsche pour donner son sens au Soi :
“Resta un météore qui ne rejoignit jamais la terre, puisque le conjunctio oppositorum n’eut pas lieu, et surtout ne put avoir lieu”.
La raison de cet échec de Nietzsche fut tout d’abord le refus de la reconnaissance de l’ombre, déja évoquée, et la quasi occultation de l’élément féminin, en tant que pôle opposé.
Le surhomme, projection du Moi surdimensionné, se dresse contre l’”homme le plus laid”, cet homme “ordinaire” et souvent peu glorieux qui est en chacun de nous. Comme l’écrit Jung dans Mysterium conjonctionis, l’oeuvre majeure des dix dernières années de sa vie (T1,p.303) :
“On ne consent pas à voir l’ombre ; celle-ci doit être niée, refoulée, ou gauchie en quelque chose qui sorte du commun. Le soleil est toujours éclatant et toutes les choses renvoient son éclat. Aucune place n’est laissée aux faiblesses qui portent atteinte au prestige.”
C’est une quasi divinisation du Moi qui va désormais être le réceptacle de toutes les qualités, entraînant ainsi la possibilité de la mort de Dieu. Cette divinisation du Moi va, par une sorte d’effet boomerang, “renvoyer à l’intérieur du sujet pensant” ce qui aurait du être projeté sur l’image divine. C’est ce qui arrive à ceux qui se prennent pour un roi ou un dieu et que la société nomme fous. Dans le meilleur des cas, donc le pire, elle en fait des Führer.
Cependant, son auto quasi divination ne procure pas à l’homme les qualités divines. Elle engendre seulement le désir de posséder ces qualités. La souffrance du désir insatisfait rend hideux celui qui pour se venger tourmente alors autrui. Témoin le “pâle criminel” du Zarathoustra qui “souffre de soi” à un tel point qu’il n’y a pas de rédemption possible :
“C’est une image qui a fait pâlir cet homme blême. Il était à la hauteur de son acte au moment où il l’a perpétré, mais une fois accompli il n’en a pas supporté l’image”.
Or Nietzsche n’avait pas seulement tenté de tuer, Dieu, crime sur la réussite duquel Jung émet des doutes, mais il avait, fait gravissime à assumer pour un glorificateur de la Vie, tenté de supprimer la femme. Pour celui qui écrit : “Il y a plus de sagesse dans ton corps que dans l’essence de ta sagesse”, comment la vie du corps a-t-elle pu être aussi misérable et la relation au pôle féminin de la nature aussi peu réussie ?
Les relations personnelles de Nietzsche avec les femmes, y compris sa mère et sa soeur, furent des échecs. Au cours de son oeuvre il glorifie parfois la femme comme image de la Vie mais en ajoutant aussitôt qu’elle est sorcière, cruelle et insaisissable. Le surhomme nietzschéen trouve difficilement une compagne. S’il y parvient l’utilité de cette compagne se limitera à la tâche d’enfanter, d’une manière toute symbolique, le surhumain.
Les lignes venimeuses qui vont suivre, extraites du texte : Des femmelettes jeunes et vieilles, cette “chosification” de la femme que l'on trouve dans le Zarathoustra sont, je le pense, la conséquence d’une profonde souffrance :
“ L’homme digne de ce nom n’aime que le danger et le jeu. C’est pourquoi il désire la femme le plus dangereux des jouets.
L’homme doit être élevé pour la guerre, la femme pour le délassement du guerrier : hors de cela tout est folie. …
La femme a besoin d’obéir et de donner une profondeur à sa surface. L’âme de la femme est superficielle, c’est une surface mobile et agitée au dessus d’un haut fond.”
La petite vieille ironique à laquelle Nietzsche-Zarathoustra adresse ce discours est une voix de l’inconscient. Elle l’avertit du danger de traiter les femmes de cette manière. “Tu vas chez les femmes”, dit-elle, “N’oublie pas le fouet”. En effet, les forces féminines refoulées seront difficiles à dompter et Nietzsche subit les conséquences de son refus de l’opposé féminin. Dans sa folie c’est à Cosima Wagner, alias Ariane, qu’il écrivait “Ariane je t’aime”, en signant Dionysos.”
Tenter d'éliminer la femme c'était dangereusement refouler toutes les forces de la Nature et peut-être aussi celles du divin. C'est ce que nous verrons dans la prochaine et dernière note.
Suite des trois notes précédentes
Pour Jung la philosophie, comme la psychologie, est destinée à l’homme et non à la pure spéculation intellectuelle. L’un de ses grands reproches envers Nietzsche est de ne pas avoir appliqué ”ses théories” à sa propre vie. Il écrit dans Ma vie :
“Nietzsche, avec son exubérance, ne serait peut-être pas tombé hors du monde s’il s’en était tenu aux bases mêmes de l’existence humaine.”
Il avait perdu le contact avec le réel, se voulait un philosophe-médecin mais ne maîtrisait pas sa propre santé.
L’analyse du “cas Nietzsche“ sur le plan de la névrose et de la folie du philosophe pendant les dix dernières années de sa vie a été effectuée dans Psychologie de l’inconscient, ouvrage assez ancien, mais dont la dernière édition entièrement revue date de 1942.
Jung éxamine d'une manière critique la vie de Nietzsche . Il prèchait un grand oui à la vie et à l'impulsion mais s'imposa un mode de vie assez maniaque et très contraignant décrit en détail dans Ecce homo. Il a recherché les meilleurs climats, les régimes les plus divers, et absorbé beaucoup de somnifères. Finalement comme l’écrit Jung dans Psychologie de l'inconscient (p.67)
“Il prêchait de dire oui à l’impulsion et il vécut une négation de la vie. Les hommes lui inspiraient un trop grand dégoût et en particulier l’homme en tant qu’animal qui vit de son instinct, pour qu’il puisse en être autrement” … “C’est pourquoi la vie de Nietzsche ne nous convainc pas de la justesse de sa doctrine. Car le “surhomme” veut pouvoir vivre à Naubourg et à Bâle, malgré le “brouillard et les ombres” il veut la femme et la progéniture …”Nietzsche omit de vivre un instinct, précisément l’instinct animal de la vie : Nietzsche fut, sans que cette considération attente le moins du monde à sa grandeur et à sa signification, une personnalité maladive”.
Il y a une dissemblance manifeste entre le comportement de Jung et celui de Nietzsche. Jung aimait les plaisirs de la vie. Il fumait, était amateur de bonne chère et de bon vin. Il eut femme et enfants et résistait difficilement à la beauté et à l’intelligence féminine. Ce que j'ai dit dans la note précédente sur l'accord entre Nietzsche et Jung sur le côté positif des grandes maladies se retrouve dans les écrit de Nietzsche mais pas dans la ”personnalité maladive”dont parle Jung. Une personnalité qui n'a pas appliqué sa philosophie dans sa vie quotidienne.
Pourtant, pense Jung, il y avait en Nietzsche un dynamisme, une énergie de vivre, et si on lui avait reproché de tourner le dos à l’instinct il aurait protesté vigoureusement. Pourquoi, alors, ses impulsions instinctives l’ont-elles éloigné du monde des autres hommes, isolé dans un dégoût du “troupeau humain” ? La réponse serait qu’à côté de l’instinct de la satisfaction des sens et de la conservation de l’espèce il existe un autre instinct, celui de la “conservation de soi-même”. Il s’agit de la “volonté de puissance”. C’est de cet instinct que parle Nietzsche et tout le monde pulsionnel dérive pour lui de cette volonté. La conséquence en est une unilatéralité et une grave inflation psychologique que Jung décrit ainsi dans Psychologie de l'inconscient (p.68,69)
“Le cas de Nietzsche montre d’une part quelles sont les conséquences d’une unilatéralité névrotique, et d’autre part quels sont les dangers que comporte en soi toute tentative de sauter par- dessus le christianisme. Nietzsche a indubitablement ressenti au plus profond de lui-même la négation, qu’impose le christianisme, de la nature animale de l’homme, et il se mit en quête d’une nouvelle totalité humaine, édifiée sur un plan plus élevé, par delà le bien et le mal. Quiconque soumet l’attitude fondamentale du christianisme à une critique sérieuse se dépouille par là même de la protection séculaire que celui-ci lui ménageait. Il se livre alors inéluctablement à l’âme animale de l’homme. C’est alors le moment de l’ivresse dionysiaque, la révélation bouleversante de la “Bête blonde” qui s’empare du naïf, ignorant de l’aventure où il s’est engagé, et qui le remplit d’un vertige inconnu. L’état frissonnant de possession dans lequel il se trouve fait de lui un héros, ou une espèce de demi-dieu, animé par le sentiment d’une grandeur supra-humaine. Il se sent précisément “à six mille pieds par delà le bien et le mal.”
C’est la puissance du Moi qui a été exaltée dans le cas de Nietzsche. Une sorte d’héroïsme chronique lui a fait perdre la plasticité adaptative nécessaire à la vie. Au moment où il fut confronté avec son ombre qui était la volonté de puissance il n’a pas su la reconnaître. Au cours du combat entre le principe du Moi et le principe de l’instinct, lui qui prônait la complexité et le dépassement des limites, s’est retrouvé dépendant de la structure et de la limitation d’un Moi qui ne pouvait supporter la présence de cet “autre”, de cet adversaire intérieur, son ombre. Toutes les manifestations de l’inconscient sont devenues suspectes à celui-là même qui avait su écrire sous sa dictée le premier livre du Zarathoustra. L’ombre y était re-présentée symboliquement d’une manière très visible sous la forme de “l’homme le plus laid” mais le surhomme dans lequel se projetait Nietzsche a refusé de la voir.
Zarathoustra lui-même, comme le dit Jung dans Ma vie , était la grande ombre de Nietzsche. C’était aussi une manifestation de l’inconscient, semblable à celle de son propre numéro 2. Le problème vint du fait que Le Moi conscient de Nietzsche préoccupé d’héroïsme et déraciné des forces vitales n’était pas assez fort pour conserver sa cohérence et son identité. Il devient Dionysos et le “crucifié” et sa cohérence psychique éclata définitivement. L'annonce de cette dissolution se lit dans le poème Sils-Maria qui fait partie des Chansons du prince hors la loi dans Le Gai Savoir :
Ici j’étais assis à attendre,
Attendre - mais à n’attendre rien,
Par delà le bien et le mal , à savourer tantôt
la lumière, tantôt l’ombre,
N’étant moi-même tout entier que jeu,
Que lac, que midi, que temps sans but.
Lorsque soudain, amie ! un se fit deux
Et Zarathoustra passa devant moi...
C’est à ce moment que commença la sensation d’’écartèlement qu’il éprouva au début de la maladie mentale qui le conduisit à une terrible dissociation de la personnalité. Nietzsche avait voulu donner un sens au Soi mais il n'eut pas la force psychique de résister aux attaques de son inconscient, attaques qui le déconectérent de la réalité.
Ariaga